« Avec l’Inde, nous souhaitons une coopération à la fois technologique, financière et stratégique »

Le ministre ivoirien de la Poste et des TIC a participé à la récente rencontre internationale IndiaSoft 2013 en Inde. Fasciné par le modèle indien, pays émergent qui exporte son expertise dans le secteur des TIC partout dans le monde, Bruno Koné pense que les pays africains devraient s’en inspirer. Entretien.


Vous avez été invité d’honneur à IndiaSoft 2013 en mars dernier à Calcutta, en Inde, quelles en sont les retombées ?

Bruno Koné : En effet, en marge de la visite officielle du Premier ministre en Inde au mois de mars dernier, j’ai eu l’honneur, avec deux autres ministres africains en charge des TIC, du Nigeria et de Maurice, d’être l’invité d’honneur d’IndiaSoft 2013.

C’est une grande manifestation organisée par l’Etat du Bengal Ouest, à Calcutta, dont l’objectif est de présenter ce qui se fait de mieux en Inde dans le domaine des TIC, en particulier dans celui du contenu, des applications, des logiciels…

 

Nous y avons rencontré un grand nombre d’entreprises indiennes du secteur, dont certaines se sont montrées intéressées par le marché ivoirien. Des contacts sont en cours et de réelles possibilités d’affaires existent. Nous avons donc profité de la tribune qui nous a été offerte pour présenter la Côte d’Ivoire et les potentialités que nous avons en matière d’investissements dans les TIC. Nous attendons des suites concrètes à ces contacts.


A Indiasoft, vous avez invité les Indiens à venir investir en Côte d’Ivoire. Quelles sont vos attentes par rapport au modèle indien dans le domaine des TIC ?

BK : Je dois préciser qu’avant Calcutta, le Premier ministre, M. Duncan, a eu l’occasion, à Delhi, de s’adresser aux hommes d’affaires indiens, tous secteurs confondus. Il n’y a pas de doute que son message a été entendu cinq sur cinq, vu les manifestations d’intérêt que nous avons reçues sur place, et qui se sont poursuivies dernièrement, dans la semaine du 5 mai, au cours de la visite en Côte d’Ivoire d’une cinquantaine d’hommes d’affaires indiens. Cela dit, nous attendons beaucoup de ce pays. D’abord apprendre de son modèle, qui est original et qui est une réussite. L’Inde a une riche expérience dans le domaine des TIC, dont nombre de pays africains, la Côte d’Ivoire incluse, devraient s’inspirer. Au-delà, nos pays sont consommateurs de services TIC, et l’expertise de l’Inde pourrait dans bien des cas faire l’affaire. C’est un pays dont les réalités sont souvent proches des nôtres, dont l’expertise est avérée, et qui, en termes de prix, est l’un des plus compétitifs au monde.


Qu’est-ce qui vous passionne dans ce modèle indien ?

BK : Ce modèle est une réussite, en ce sens qu’à partir de rien, ou de la seule matière grise de sa population, ce pays a priori pauvre et riche de ses traditions multiséculaires a réussi à se hisser dans le gotha mondial des TIC. Le secteur des TIC en Inde emploie plusieurs millions de personnes, exporte son expertise partout dans le monde, dans la sous-traitance informatique, l’infogérance, la production de logiciels, la production d’équipements terminaux à bas prix, etc. Le secteur des TIC représenterait à ce jour 16% des recettes d’exportation de ce pays. L’image de l’Inde, qui allie avec autant de réussite une si riche tradition et un tel avant-gardisme, séduit. C’est un modèle que notre pays devrait suivre, nous qui avons besoin de créer des emplois, de la richesse, nous qui avons une jeunesse dont le dynamisme dans le domaine des TIC n’est plus à démontrer.


En Côte d’Ivoire, l’Inde intervient dans le projet panafricain des services en ligne. Où en est-on avec ce projet et quel est l’apport de l’Inde ?

BK : Il faut d’abord préciser que ce projet, initié par l’Inde, comprend un réseau de télécommunications reliant les 53 Etats de l’Union africaine (UA) entre eux, et ces Etats avec l’Inde, en vue de fournir des services de télé-éducation, ou e-éducation, de télémédecine, ou e-santé, et de communication diplomatique. Pour sa mise en œuvre, l’Inde a équipé chacun des Etats africains de trois sites, dont un site de télé-éducation, un site de télémédecine et un site de communication diplomatique. Ainsi, pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, nous évaluons la contribution de l’Inde sur ce projet, pour les cinq ans de 2009 à 2014, à 2,165 milliards FCFA, incluant le coût des équipements, la bande passante, l’ingénierie et le personnel d’appui.

A ce jour, deux des sites, à savoir le site de l’e-éducation, installé à l’Ecole Nationale Supérieure (ENS), et celui de l’e-santé, installé au CHU de Yopougon, fonctionnent normalement, et à partir du site de l’ENS, et à travers ce réseau, une trentaine d’étudiants ivoiriens prennent des cours à distance dans des universités indiennes. Le site de communication diplomatique, précédemment installé au Ministère des affaires étrangères, ayant été complètement pillé au cours de la crise postélectorale de 2010, une procédure est en cours pour le rétablir. C’est donc un projet important dans notre dispositif de vulgarisation des TIC qui permettra à nos projets e-éducation et e-santé de s’ouvrir plus facilement vers l’international.


Autre projet impliquant l’Inde, la zone franche du Village des technologies de l’information et de la biotechnologie (VITIB). Quel est en ce moment l’état d’avancement de ce projet et en quoi consiste-t-il ?

BK : Le projet de zone franche est en plein redécollage depuis que la situation en Côte d’Ivoire montre à nouveau des signes positifs aux plans social, politique et économique. Nous assistons en ce moment à un regain d’intérêt du secteur privé, qui est attiré par les avantages fiscaux et douaniers qu’offre cette zone franche. En 2012, le chiffre d’affaires des entreprises en zone franche a augmenté de 87%, et les perspectives pour 2013 sont très bonnes.

Le projet du VITIB a plusieurs fonctions. D’abord celle d’un incubateur, chargé d’attirer et d’accompagner les PME ivoiriennes du secteur des TIC et de la biotechnologie ; ensuite celle d’une zone franche, destinée à attirer l’investissement étranger et à créer des emplois ; enfin celle de vitrine technologique de notre pays, pour montrer le savoir-faire ivoirien dans le domaine des TIC, et de cette façon améliorer l’attractivité de la destination Côte d’Ivoire pour les investisseurs étrangers.

Pour répondre au dernier volet de votre question, je dirais que l’Inde, précurseur des parcs technologiques à travers le monde, s’est impliquée dans ce projet dès ses débuts et y a apporté son expertise. En plus de l’expertise technique, le gouvernement indien a appuyé les efforts de la Côte d’Ivoire dans le montage financier du projet de zone franche, à travers notamment l’EximBank, qui se propose de soutenir nos efforts de modernisation de cette zone par un prêt de 20 millions $. Ce prêt permettra de doubler la capacité d’accueil actuelle de la zone franche et d’acquérir des équipements de pointe. Je dois dire que cette collaboration avec l’Inde dans le dossier de la zone franche de Grand-Bassam est un parfait exemple du type de coopération Sud-Sud que nous souhaitons, à la fois technologique – parce qu’elle favorise un transfert effectif de savoir-faire vers notre pays –, financière – par l’implication de l’État indien et d’entreprises privées indiennes qui sont actionnaires du VITIB –, et stratégique parce qu’elle renforce les liens de coopération de la Côte d’Ivoire avec un partenaire, pays émergent, potentiellement puissant.


Comment, d’après-vous, les Africains pourraient bénéficier de l’expérience de l’Inde dans le domaine des TIC ?

BK : De plusieurs façons. En recourant à des partenariats entre entreprises, en associant l’expertise indienne à nos projets publics. Il faut également noter que l’Inde offre un cadre très performant d’apprentissage des TIC, dont profitent de nombreux étudiants africains. Au moins 1500 étudiants ivoiriens sont enregistrés auprès de notre consulat à Bangalore, qui comme vous le savez est dans ce pays la ville TIC par excellence.


Comment évaluez-vous la pénétration indienne en Afrique dans le domaine des télécoms et des TIC ?

BK : C’est un taux de pénétration en croissance, qui me paraît mérité vu les efforts faits par les entrepreneurs indiens pour commercialiser leurs solutions partout dans le monde et gagner des parts de marché. A lui tout seul, un opérateur mobile indien (que je ne nommerai pas) a, ces dernières années, bouleversé la hiérarchie et fortement influencé les modèles économiques dans bien des marchés nationaux africains. Dans d’autres domaines, cette présence se renforce, et pour le moment je ne vois personne s’en plaindre. Donc, chacun en tire un bénéfice.


En ce qui concerne l’actualité télécom dans votre pays, vous souhaitez classer les opérateurs téléphoniques en fonction de la qualité de leurs services fournis et vous annoncez même des sanctions allant jusqu’à 3% du chiffre d’affaires. Où en êtes-vous avec ce projet et qu’est-ce qui justifie cette initiative ?

BK : Cette position vise simplement à faire en sorte que les opérateurs en activité fournissent à leurs clients un service de qualité. Nous recevons un trop grand nombre de plaintes ces derniers temps relativement à la mauvaise qualité des services mobiles, avec des appels non aboutis, des interruptions d’appels, des problèmes de facturation, etc. Même si nous comprenons que certaines des causes, des insuffisances relevées ne sont pas imputables à ces opérateurs, nous pensons qu’un effort devrait être fait sur les autres, qui relèvent d’eux. Nous pensons aussi que, toutes choses restant égales par ailleurs, les services fournis par chacun peuvent être objectivement comparés à ceux de ses concurrents. Il reviendra ensuite au marché de sanctionner les plus mauvais ou de récompenser les meilleurs, et vous le savez, pour un commerçant, il n’y a pas pire sanction que celle du marché. En parallèle à cette sanction du marché, nous avons effectivement décidé d’appliquer tout simplement une disposition de la nouvelle loi des télécommunications/TIC, qui institue une sanction pécuniaire progressive en cas de non-respect des cahiers des charges. Cette sanction peut aller jusqu’à 3% du chiffre d’affaires de l’opérateur, voire même 5% en cas de récidive. Ce n’est à notre avis que justice pour les abonnés aux services de téléphonie, qui méritent un service de qualité, et cela ne peut faire que du bien aux opérateurs eux-mêmes, qui de cette façon ont l’assurance d’améliorer leurs affaires avec une clientèle fidélisée, parce que satisfaite.


Dernière question indiscrète, sur quel dossier précis (celui qui vous tient à cœur) le ministre travaille-t-il en ce moment ?

BK : Question difficile. Nous travaillons sur un grand nombre de dossiers à la fois, compte tenu du faible niveau de maturité numérique de notre pays. Ainsi, au plan réglementaire, nous défendrons dans les prochains jours devant l’Assemblée nationale les textes de loi sur le commerce électronique, la lutte contre la cybercriminalité et la protection des données à caractère personnel. Ces textes viennent compléter et renforcer l’ordonnance du 21 mars 2012, qui régit globalement le secteur des télécommunications/TIC.

Au plan des infrastructures, nous construisons en ce moment un réseau national en fibre optique destiné à interconnecter l’ensemble des chefs-lieux de département du pays, qui sous-tendra l’ensemble de l’ambition affichée par notre pays en matière de TIC. Nous venons d’achever les 1400 premiers kilomètres de ce réseau (bretelles ouest et nord), qui sera en tout long de 6700 km, et nous démarrons dans quelques semaines la deuxième tranche (bretelle est), de 640 km. Ce réseau sera complété par une couverture satellitaire permettant de connecter environ 3000 villages.

Au plan de l’accessibilité, nous lancerons dans quelques semaines le projet « Un citoyen, un ordinateur », qui contribuera sans aucun doute à vulgariser l’outil informatique. Nous travaillons sur plusieurs projets du domaine de la gouvernance électronique de l’Etat, en particulier sur ses déclinaisons e-éducation, e-santé, e-justice, e-sécurité, e-agriculture, etc.

Comme vous pouvez le voir, les priorités sont nombreuses et notre temps compté, compte tenu de l’importance qu’ont désormais les TIC, et de la demande légitime des populations. Nous ne pouvons pas traiter ces questions l’une après l’autre, ce qui les rend toutes prioritaires.

Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum

Source : Réseau Télécom No 62 – Agence Ecofin

 

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