Emmanuel Chimi : « La percée des satellites mobiles est possible dans un avenir prévisible »

Spécialiste des réseaux, ingénieur informaticien, par ailleurs enseignant au département Génie informatique de l’Institut universitaire de technologie de Douala, Emmanuel Chimi  livre son point de vue sur les forces et faiblesses de la fibre optique et du satellite en regard des besoins de l’Afrique.

L’on note un retour des satellites sur le marché africain. Qu’est-ce qui explique d’après vous ce retour?

Emmanuel Chimi : C’est essentiellement la baisse de prix qui explique ce regain d’intérêt pour la transmission par satellite sur le continent, notamment comme une alternative pour l’accès

au réseau Internet. Au cours de la décennie 90, qui est considérée comme étant la décennie de la percée de l’Internet, on a noté un grand engouement pour la communication par satellite chez nous. Mais, le prix des équipements était prohibitif pour les petites entreprises et les particuliers. Et même, beaucoup de ceux qui avaient pu prendre une connexion ont été très vite désillusionnés par des redevances mensuelles trop élevées pour la bande. De nos jours, on peut avoir une connexion d’une capacité de 512/256 kbit/s (descente/montée) à 200 000 FCfa par mois, alors qu’il y a quelques années encore, il fallait débourser cinq fois cette somme pour la même capacité.

 

Dans certains pays, le retour vers le satellite traduit aussi un certain échec des fournisseurs d’accès Internet locaux. Au Cameroun, par exemple, en deux décennies, aucun fournisseur d’accès Internet n’a été capable d’offrir la capacité souhaitée aux entreprises et aux particuliers à des prix semblables à ceux qui sont pratiqués ailleurs. Les entreprises tenues par des nationaux qui, au début des années 2000, semblaient avoir pris une bonne option pour réussir dans le secteur ont presque toutes sombré dans l’insignifiance et même la faillite, à cause certainement de l’environnement des affaires pas du tout facile, mais aussi à cause d’un management inapproprié. Les deux opérateurs de réseaux GSM (Mtn et Orange, ndlr) qui ont vite fait de devenir des fournisseurs d’accès Internet et l’opérateur national (Camtel, ndlr) n’arrivent pas à convaincre sur le plan technique, et ceci malgré les moyens financiers dont ils disposent.

L’on a très souvent constaté qu’après les failles de la fibre optique, les entreprises ont eu recours au satellite. Quels sont les forces du satellite ?

EC : Il faut dire que les lignes satellitaires atteignent un taux de disponibilité loin au-dessus de ce que les réseaux publics de chez nous peuvent offrir. Dans le cadre de l’accès au réseau Internet notamment, lorsqu’une entreprise utilise une ligne sur satellite, le signal issu de son antenne va directement sur un satellite situé dans l’espace et qui sert de relais. Du satellite, le signal est transmis vers un hub connecté directement à la dorsale du réseau Internet. Donc, en deux bonds les communications de l’entreprise arrivent sur le backbone de l’infrastructure Internet, contournant ainsi toutes les lignes de transmission et équipements des opérateurs locaux dont les défaillances sont à l’origine de beaucoup d’interruptions des connexions Internet.

Qu’est-ce qui explique que les communications via le satellite soient plus onéreuses ?

EC : Pendant longtemps, le continent africain n’a pas été acteur dans le secteur économique et technologique de l’exploitation spatiale. En conséquence, l’Afrique n’est pas bien couverte par les satellites. Les pays qui possèdent les satellites dans l’espace ont positionné ceux-ci sur orbite pour arroser leurs territoires et les régions du monde qui les intéressent économiquement et politiquement. Et quand on peut avoir le signal d’un satellite et qu’on veut prendre une connexion, on est en position de faiblesse par rapport à l’entreprise d’en face qui parfois n’a qu’un agent commercial dans le pays ou même sur le contient. Cette situation représente quelque peu une autre injustice dont l’Afrique est victime. Beaucoup de satellites de télécommunications se trouvent au-dessus du continent africain, parce que l’équateur se trouve être la position optimale pour ces satellites.

Il faut aussi reconnaître que le lancement d’un satellite demande quand même beaucoup d’argent. Un satellite moderne peut coûter près 400 millions de dollars pour une durée d’exploitation d’environ 10 années. On comprend que le temps est court pour recouvrer l’investissement effectué. D’autre part, les équipements d’accès au satellite (Terminaux VSAT) ne sont pas des produits de masse et le secteur ne connait pas de concurrence rude comme ailleurs. Raison pour laquelle ils coûtent encore relativement chers.

Comment se présente l’avenir des satellites avec l’arrivée des satellites novateurs et quels sont leurs avantages ?

EC : Je crois qu’on est en droit de croire que la percée des satellites mobiles, c’est-à-dire les satellites basse-orbite (Low Earth Orbit, LEO) et les satellites moyenne-orbite (Medium Earth Orbit, MEO), est possible dans un avenir prévisible. Il s’agit de satellites plus proches de la terre, suffisamment proches pour être directement accessibles à partir des terminaux dont la taille peut être aussi réduite que celle des téléphones portables. Ces satellites ont le potentiel d’offrir de grandes capacités de transmission à tous ceux qui peuvent se trouver sur leurs trajectoires, indépendamment des frontières nationales et continentales. Aussi, leur succès viendrait-il inaugurer une autre ère dans l’évolution des technologies de l’information et de la communication. Sur le plan technologique, il n’y a plus beaucoup d’obstacles à la réussite. Les incertitudes se trouvent désormais au niveau du financement et des attitudes des Etats. Contrairement aux satellites géostationnaires, les satellites mobiles fonctionnent dans des constellations pouvant compter 50 satellites ou plus. C’est pourquoi on doit mobiliser les financements de plusieurs entreprises et banques pour construire un système. Les Etats quant à eux, et notamment les puissances économiques, s’intéressent avant tout au contrôle économique, politique et sécuritaire du secteur.

L’on parle de types de fibre optique, quelle est la typologie et quels sont les types de fibre optique que l’on retrouve en Afrique ?

EC : On distingue deux grands types de fibres optiques : les monomodes et les fibres multimodes. Le premier type représente les fibres optiques les plus performantes capables de transporter plusieurs dizaines de gigabits par seconde (1 gigabit = 1 milliard de bits). Elles sont également supérieures parce qu’elles amortissent faiblement le signal en circulation. C’est pour cette raison qu’on peut installer les fibres monomodes sur des distances de plus d’une centaine de kilomètres sans avoir besoin de répéteurs le long de la ligne pour rafraîchir le signal.

Mais, je dois relever que cette distinction reste une affaire de spécialistes. C’est à l’ingénieur de choisir le type de fibre à utiliser dans une installation. Le type de fibre n’a aucune influence sur la qualité de service que l’utilisateur final perçoit. Du point de vue économique, les fibres multimodes sont moins chères que les autres. Il en est de même pour les équipements actifs associés. C’est pourquoi on utilise généralement les fibres multimodes pour les applications avec des exigences modérées. Toutefois, il y a des cas où on doit opter pour les fibres monomodes, au-delà du coût. C’est le cas notamment lorsqu’il s’agit d’une infrastructure publique et/ou lorsque la distance à couvrir est grande.

Je tiens à rappeler qu’avec les fibres optiques, il existe aussi de mauvais produits sur le marché, comme c’est le cas avec tous les produits de fabrication industrielle. On ne peut s’attendre aux avantages de la fibre que lorsqu’on a des produits de bonne qualité. La fibre optique est un produit de l’industrie chimique qui doit ses atouts tant appréciés à un degré de pureté de matériau très élevé. Cette qualité de matériau ne peut être atteinte que dans des usines bien équipées et où la technologie de fabrication est bien maîtrisée.

La fibre optique a toujours été considérée comme outil de pointe pour les communications électroniques, quels sont ses avantages ?

EC : Pour ne pas aller dans les détails techniques, je voudrais citer uniquement trois avantages des câbles à fibre optique : La capacité, la fiabilité et la sécurité. La fibre optique est appelée le médium de transmission suprême parce qu’elle offre une capacité de transmission loin au-dessus des capacités-limites des câbles métalliques et des liaisons sans fil. Les câbles à fibre optique installés à partir des années 70, jusque dans les années 90 ont une capacité de transmission de 2,5 Gbit/s en moyenne. Cela représente la capacité pour transporter simultanément environ 40 000 communications téléphoniques de qualité numérique. De nos jours, les lignes à fibre optique que l’on rencontre notamment dans la dorsale des réseaux d’opérateurs ont généralement une capacité de 10 Gbit/s; soit la capacité pour transporter 150 000 communications téléphoniques simultanément. Quelques lignes de plus de 10 Gbit/s sont aussi en exploitation à travers le monde et on n’est pas encore proche de la limite. Des recherches et expériences sérieuses en laboratoire ont démontré depuis des années qu’on peut aller jusqu’à une vitesse de transmission de 40 Tbit/s (Terabits par seconde), soit 4000 x 10 Gbit/s. Ce qui montre qu’aujourd’hui on exploite qu’une infime fraction de la capacité de la fibre optique. En fait, la limitation de la capacité de transmission est dictée depuis des années par les limites de l’électronique. Les équipements actifs utilisés avec la fibre optique sont des produits électroniques.

En ce qui concerne la fiabilité, la fibre atteint un taux de disponibilité très élevé, d’abord parce que le nombre de répéteurs sur une ligne est très réduit par rapport aux amplificateurs nombreux et vulnérables que l’on doit installer sur une ligne de câbles métalliques. Par ailleurs, les émetteurs et les récepteurs que sont les diodes et les photodiodes fonctionnement de façon fiable pendant leur durée de vie. On peut parler de la sécurité de la transmission sur fibre optique en deux points essentiellement : le signal qui circule dans la fibre est lumineux (et non électrique), ce qui rend la transmission insensible aux perturbations électromagnétiques et mécaniques qui peuvent exister autour du câble. Par ailleurs, il est difficile d’intercepter le signal que transporte la fibre, sans que cela ne soit remarqué. Le contraire est encore à démontrer. Pour y parvenir, il faut que la fibre soit pratiquement abandonnée de sorte qu’on puisse y accéder avec tout le dispositif nécessaire et qu’on ait le temps d’essayer dans tous les sens.

En Afrique et au Cameroun utilise-t-on réellement toutes les capacités et opportunités que nous offre la fibre optique ?

EC : Nous sommes encore loin de bénéficier du potentiel des câbles à fibre optique dans la plupart des pays du continent africain. Il y a des pays comme le Sénégal qui ont marqué de bons points dans ce sens, mais globalement la situation n’est pas reluisante. La dynamique de globalisation de l’économie mondiale nous a permis d’avoir suffisamment tôt la fibre le long de la côte. Je rappelle que le projet SAT 3 a été initié par un consortium de 37 opérateurs, parce qu’on voyait une importance économique à venir pour l’Afrique. Mais, c’était aussi pour assurer la communication entre l’Europe et l’Asie par la côte ouest-africaine. Je crois que beaucoup de pays qui ont eu la chance de voir passer la fibre sur leur côte n’ont pas su la mettre au profit de leurs citoyens et de l’économie du pays. On s’est mis à revendre la capacité achetée sur la fibre sous-marine comme dans le commerce de détails où l’on doit faire du bénéficie sur chaque article vendu. Il aurait fallu céder cette capacité à l’intérieur sans vouloir faire de bénéfices directs ou même en subventionnant, ce qui aurait brisé le goulot d’étranglement de la capacité au sortir du pays et aurait insufflé une dynamique forte au développement des réseaux internes. La rétention de la capacité sur la fibre optique vers l’extérieur ne profite qu’aux fournisseurs d’accès qui ne veulent pas faire de choses sérieuses. Quand on regarde les équipements (de type amateur) avec lesquels certaines entreprises du secteur travaillent en Afrique, on comprend que la performance ne saurait y être.

Peut-on dire que les satellites sont la solution pour faciliter l’accès des pays africains qui n’ont pas accès à la mer aux services de télécommunications ?

EC : Je ne crois pas. Il faut dire que la transmission par satellite résout le problème de connectivité au niveau d’une entreprise ou d’un particulier. Mais, cela ne contribue pas au développement d’une infrastructure réseau nationale. Pour un pays, ça pose un gros problème. D’abord parce que l’argent de la connexion va dans les caisses des entreprises étrangères et ensuite parce que l’absence d’une infrastructure nationale viable représente à la longue un problème d’indépendance réelle et de sécurité nationale. Par ailleurs, les capacités de transmission de l’ordre de plusieurs (dizaines de) gigabits par seconde qu’il faut pour évacuer le trafic d’un pays ne sont pas financièrement faisables sur satellite.

En matière de développement, on a parfois constaté que c’est dans des conditions défavorables que certains pays font de grandes avancées. Les pays africains qui n’ont pas accès à la mer pour pouvoir profiter directement des fibres sous-marines devraient s’efforcer à développer un réseau national, ou du moins un backbone réseau national, pour arriver à une concentration du trafic de communication sur un ou deux points de sortie. A partir de ce moment, il deviendra rentable de construire une ligne d’interconnexion avec la côte la plus proche. Par ailleurs, tous les pays africains devraient prendre des décisions stratégiques appropriées pour améliorer la distribution des flux de communication avec les pays développés. Celle-ci se trouve être à la défaveur de nos pays actuellement.

L’essentiel des contenus visités par les internautes sont à l’extérieur, les citoyens utilisent massivement des adresses électroniques de fournisseurs étrangers (Yahoo, Hotmail, etc.). Tout ceci gonfle le volume de trafic avec le Nord. C’est ici que l’on doit constater que la fracture numérique au détriment de l’Afrique s’aggrave plutôt. Le taux de pénétration de l’ordinateur et d’autres produits informatiques peut avoir connu une amélioration. Mais, lorsque l’Afrique dépend chaque jour davantage de contenus produits par les autres et qu’elle ne contrôle pas, ce n’est pas une bonne chose.

Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum pour le magazine Réseau Télécom Network No 58.

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